3- Vidéo

Un soir d’octobre 2016, sur un chemin vers Saint Jacques de Compostelle, Jonathan enregistre l’histoire que je raconte…

Texte de la vidéo « Message d’un pèlerin » :

Je vais te raconter une histoire.

L’histoire d’un homme qui, au mitan de sa vie, est foudroyé par la lumière.

C’est peu banal.

L’homme, pourtant, est ordinaire. Jusqu’à ce jour, il a vécu assez légèrement. Une femme, deux enfants. Un métier qui lui plait et lui permet de vivre, assez commodément. Des amis et une passion : la mer, parcourue à la voile. La fête aussi, souvent… Bref, tout pour être heureux, comme on dit…

Sauf que…

Sauf qu’un jour, au creux d’une douleur qui le laisse seul, avec deux enfants en bas-âge, il prend conscience de l’ineptie d’une existence ainsi menée, son peu de consistance. Et il décide de comprendre, de voir le sens, s’il y a un sens, d’entendre, s’il y a à entendre. Qu’est-ce que l’homme, vraiment ?

Alors il lâche prise.

Il ne sait plus rien, ne veut plus rien. Il s’abandonne. Complètement, totalement. Il lâche les rênes de sa vie. Advienne que pourra. Par là, il faut entendre que cet homme ne fait plus confiance à sa seule volonté pour se guider. Il voit trop le désastre où celle-ci, à ce jour, l’a mené ! Mais il continue, vaille que vaille, de porter le quotidien : métier et enfants pour l’essentiel. Et c’est dans ce marasme qu’une chose étrange arrive…

Le voilà porteur de boules, porteur de trois boules.

Là, physiquement, dans son ventre, sa poitrine. Trois boules qui ne le lâchent pas. Une boule sombre, couleur de terre, une boule vive, couleur de feu et une toute blanche. Il est comme enceint. Enceint, c’est bien le mot. Il est gros de trois boules ! Et au bout d’un temps cela lui devient intenable, insupportable. Alors, lui qui n’a jamais peint, lui qui ne sait pas dessiner demande à un ami, artiste, ayant fait les Beaux-Arts, de lui acheter tout ce qu’il faut pour peindre. Toile, spatules, pinceaux, tubes de peinture, chevalet, palette et autres accessoires encombrent bientôt tout un coin du salon. Il est paré, tout est prêt.

Et la vie continue.

S’occuper des enfants : torcher, jouer, nourrir, aimer. Le métier à tenir. Et une nuit : réveil, en sursaut. Il sait que c’est maintenant. Il se lève et jette ce qu’il porte, là, sur la toile, comme ça, rapidement, comme il le peut en fait. Il étale d’abord un fond bleu-nuit sur tout le cadre puis il peint une première boule, une boule de feu en bas, à gauche de la toile. Puis une boule couleur de terre plus haut et plus à droite. Enfin et au dessus de tout, une énorme boule blanche.

Voilà l’image qu’il portait dont il est enfin délivré…

Sauf que…

Sauf qu’à un moment, sans qu’il le veuille, sans qu’il le décide, les couleurs changent. Du vert apparaît sur le fond bleu-nuit… Et ce vert trace les contours d’une main. L’homme n’en croit pas ses yeux, l’idée de dessiner une main ne l’a même pas effleuré. Et pourtant elle est là, en bas à gauche de la toile, qui sort du feu et vient serrer dans sa pince la boule de terre, plus haut et plus à droite. Stupeur ! La main est là, l’aube est là qui se lève et lui s’effondre – épuisé, vide.

Au matin, reste l’oeuvre.

Le tableau témoigne de cette nuit de forge. Il reste là, à sécher, des jours durant. C’est long à prendre et à durcir ces épaisseurs qu’ignorant des techniques, il n’a pas ménagées… Le tableau est là et lui est libéré. Cela ne pèse plus, ses entrailles ont gerbé.

Mais le sens ?

Quel est le sens de tout cela ? C’est déjà peu banal, un homme enceint de boules… Peu avouable aussi, sauf à passer pour fou, celui qui perd la… boule. Mais le sens ? Le feu : feu créateur, feu primitif ? La terre : notre terre ? L’énorme boule blanche : un royaume de lumière ? Et ces quelques points blancs, parsemés ça et là sur le fond bleu-nuit ? Ils semblent comme des étoiles autour de la terre, attirées, aspirées par l’énorme boule blanche. Il y a du mouvement dans ce tableau.

Mais la main ?

Cette main étrangère qui s’est invitée, qui est là à présent, que l’on ne peut manquer de remarquer, cette main, que veut-elle dire, que vient-elle signifier ? Précisons d’emblée ! Cet homme vit à mille lieues de toute transcendance, point d’interrogation métaphysique, point de religion, le nez dans le guidon, la vie à pleines dents, un penchant pour la fête et la fête arrosée. Et notons pour clore ce rapide portrait, une aspiration – déjà signalée – pour les intangibles lointains, horizons marins le plus souvent. Mais soyons clair, pleinement de son siècle, l’homme croit à la science, à la seule science. Il se tient à l’écart de toute croyance. Il a rejeté tout cela à l’adolescence, dans l’air du temps. Et aujourd’hui, rattrapé, saisi, la main le provoque. Duel, face à face ! Elle est là et bien là, sur la toile, comme un point d’interrogation, un énorme point d’interrogation, une provocation, flagrante, tonitruante même !

«Hello ! Je suis là, que fais-tu de moi, à présent ?

Il te faut décider, mon ami !»

Voilà ce qu’elle semble dire, cette main pleine d’ironie et de défi. L’homme ne peut éluder. Et bientôt, il dépose les armes, se rend à l’évidence. Comment ne pas voir en cette main la Main Majuscule qui, dans une flamboyante et grandiose donation, s’expulse elle-même et, se donnant toute entière, expulse avec elle tout à la fois et l’ombre et la lumière ?

Création.

Le tableau est là, au milieu du salon, lourd de Présence. Ses enfants le voient qui ont trois et quatre ans. Ils n’ont pas de pourquoi, pas de question. Pourtant la veille au soir, il n’y était pas… Il baptisera la toile :

« Trou noir et porosité des consciences »

Pourquoi ? Pourquoi ce titre énigmatique ? Il eut été en peine de l’expliquer. La nuit de forge l’a lessivé.

Le tableau, c’est un premier pas, un jalon fort.

Mais lui, où est-il ? Où en est-il de sa vie ?

A plus de quarante ans il est éclaté, explosé, en morceaux, complètement déstructuré. Plus de femme, plus de mère au foyer et deux enfants à élever. Un métier à tenir et plus beaucoup de relations. Ce qui en faisait le sel hier encore paraît bien fade aujourd’hui. Les fêtes ont goût de cendre et les liens se distendent. C’est le prix à payer. Il faut sauver les apparences pourtant, avec la fratrie, les parents, les bien-pensants. Il garde une vie sociale, mais ce qu’il cherche et recherche vraiment à présent, c’est le silence et la solitude. Deux choses qu’il trouve au sein d’un lieu de vie où elles sont manière de vivre. Là, il est dans les bois, isolé et précaire. Personne ne sait où il est.

Et c’est ainsi qu’un soir,

vide de toute certitude, lucide sur toute attache humaine, esseulé dans ces lieux désertés, recroquevillé, tassé, abandonné de tous, il est envahi de lumière. Un halo éblouissant, en plein cœur, là, dans sa poitrine, d’un coup. Lumière vive, chaude, jaune, dorée. Au centre du halo un homme, debout, de dos, dans un paysage désertique. L’homme est pèlerin, en marche…

Stupeur !

Le mot est faible. Il n’est plus ! Il n’est plus que ce halo, cette lumière, cet homme dans la lumière. La vision dure. Effroi ! Envie de crier, d’appeler au secours ! Il ne comprend rien à ce qui lui arrive. Mais ce qui est sûr, indéniable, c’est que c’est arrivé. Il ne pourra oublier, jamais. L’instant décide de sa vie.

Comme pour les boules, il essaie d’interpréter, de voir le sens. Quelle est cette lumière ? Qui est cet homme dans la lumière ? Qui est ce « Pèlerin de Lumière » ? Est-ce lui ? Lui qui marche dans la lumière, dans un autre lieu, une autre dimension ? L’homme n’est pas fermé à cet ailleurs que la science, pour l’heure, ne peut expliquer… Et s’il a rêvé, on ne rêve jamais, dit-on, que de soi-même. Mais là, il n’a pas rêvé. Il était éveillé, conscient lorsque c’est arrivé.

Et la question ne tarde pas à se poser, à s’imposer à lui : son expérience, certes, est singulière mais y a-t-il trace ailleurs, de pareille aventure ? Alors, réminiscence de personne inscrite dans un lieu, un temps, une histoire et une tradition, il songe bientôt à celui dont la vie a traversé les âges comme un rai de lumière. Celui-ci vibrerait-il, vivrait-il encore, ignorant temps et espace ? L’inviterait-il par ce moyen subit, cette irruption intime ? L’inviterait-il, avec quelque violence, à le suivre dans la lumière ? Car ce qu’il vient de vivre ressemble à s’y méprendre à un carton d’invitation adressé là, en plein coeur, dans l’éblouissante lumière, comme une empreinte, un sceau, une fêlure dans la chair qui jamais ne se ferme et d’où émane, toujours tenace, le lancinant appel :

«Viens, viens à ma suite, viens dans la lumière.

Où tu seras, Je suis.»

L’injonction le percute, le traverse et le blesse, le marque à jamais.

L’homme ne pourra vraiment parler, dire et partager cette expérience que beaucoup plus tard, 15 ans plus tard en fait ! Quinze ans, son nouvel âge désormais ! Car l’année qui voit le « Pèlerin de Lumière » faire irruption dans sa vie est à marquer d’une pierre blanche. A partir de là, il est autre qu’il n’était !

Et cette même année n’est pas terminée qu’un jour,

il se trouve comme percé au rayon laser, par le sommet du crâne. Une chaleur tout à la fois douce et forte l’envahit tout entier, jusqu’au bout des ongles des pieds, des mains, en conscience. Stupeur là encore donc et même mutisme : incapacité de dire, d’avancer une quelconque explication de ce qui lui arrive…

Et là, ce qui le sauve,

ce qui vient à son aide, c’est l’Écriture, la mémoire des hommes. Il trouve nichée dans les récits les plus anciens de la quête la plus haute des hommes la vérité : celle de l’homme. Et tout s’éclaire. Tout ce qu’il vient de vivre prend sens… Dans l’affaire des boules, des trois boules et de la main, il voit une force à l’oeuvre dans le monde. Dans la vision du pèlerin dans le halo éblouissant de lumière, il décrypte quelque chose qui évoque ce qui est rapporté de l’homme-lumière au moment où il est transfiguré, ce moment incroyable où il apparaît – et deux autres avec lui – resplendissants, éblouissants de lumière. Dans l’expérience de la chaleur irradiant tout son corps par le sommet du crâne, il reconnait un événement, comme un baptême : les cieux s’ouvrent et déversent l’appel. En somme – et c’est énorme ! -, il vérifie dans l’Écrit antique la validité des expériences qu’il fait lui-même dans le temps de sa propre vie ! L’Écrit prouve ce qu’il a éprouvé, l’Écrit certifie que ce qu’il a vécu n’est pas pure folie ou simple hallucination. Car ce sont bien des expériences de lumière qu’il a faites et de quoi donc parle l’Écrit si ce n’est de lumière ?

Dès lors, il est d’une liberté folle.

Et il retourne à plus de vie sociale, infiniment heureux et amoureux aussi et là, il ne peut faire autrement que dire cette Vie plus grande qui l’a touché, cette lumière qu’il a entrevue. Pour lui, c’est cela aimer : vivre de la lumière, la dire, la partager, la raconter. C’est le meilleur de lui-même qu’il puisse offrir. Il convient peu à peu qu’il suit une voie singulière, dont il ne peut s’écarter. Faillir c’est se dessécher, se racrapoter, être sec, dérisoire, inutile, mort-vivant.

Il le sait et il choisit la vie : il raconte.

Sur les chemins, dans les théâtres, les salles communales, au domicile ou en église, peu importe le lieu. En aparté, petit comité ou en public, peu importe la forme. Il a un aiguillon, une épine dans la chair. Ce qui le taraude, le talonne sans cesse et ne le lâche pas, c’est le Pèlerin, le halo de lumière, la lumière d’en-Haut, cette force immense à l’oeuvre dans le monde, ce feu qui tarde à prendre, lumière qui cherche l’homme et que l’homme, dans sa superbe, ignore d’embraser.

Lui-même n’est rien, il le sait bien.

Il se sait faible, dissolu, épais d’esprit, tordu. Son chemin peut heurter tant il est décidé. La lumière l’aimante. Il l’a vue à l’intérieur de lui. Par le sommet du crâne, elle l’a inondé. Il sait qu’elle est là, tout à la fois en lui et hors de lui. Alors il jette ses dernières forces dans ce qui est bien une bataille, un à-venir, une œuvre qui s’accomplit, avec lui ou sans lui. Il a choisi, ce sera avec lui. Et avec liberté, sur les toits du monde où le chemin l’a conduit, il met ses mots, ses propres mots, sur ce qui s’est, un jour, passé.

Un jour, un homme se lève et provoque les siens avec deux mots, seulement deux mots :

«Libération, Illumination»

Ceux qui entendent se dérobent bien sûr, se protègent et contre-attaquent.

« Mais qui est-il? Pour qui se prend-t-il ?

Ne sommes-nous pas libres, nous qui allons où bon nous semble ?

N’avons-nous pas la connaissance – nous qui avons lumière sur toutes choses ?

Mais que nous raconte donc là cet ‘illuminé’, l’un des nôtres pourtant mais devenu fou à présent ? »

Ils sont furieux et pour ces paroles, pour ces deux mots, pour cette invitation à plus de lumière et de liberté – invitation adressée à chacun, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne ! – il est bien vite moqué, chassé, expulsé du lieu, poursuivi. Ils veulent le précipiter dans le vide mais lui passe au milieu d’eux et passant, il se fait le porteur d’un autre monde.

Devenu pèlerin, sur le chemin, il répète à l’envi à tous ceux qu’il rencontre :

« Libération, Illumination ».

Et à celui qui entend, il dit plus avant :

« Assieds-toi et marche. »

Stupeur de l’homme !

« Va au fond de toi, au plus profond de toi.

Tu y trouveras la lumière. »

Brèche, instant, joie. Jour de clarté.

L’homme sait qu’il a devant lui celui qui dit ce qu’il a fait, celui qui fait ce qu’il a dit, celui qui a cherché et trouvé la lumière, qui est devenu lui-même lumière, phare du nouveau monde.

Phare qui permet de voir.

Plus rien n’est caché. Cet homme accompli est lumière. Mais l’aube qui se lève dévoile plus encore car il n’est pas seul d’autres sont avec lui, lumière eux aussi. Là est la vérité de l’homme, la stupéfiante vérité de tout homme : l’homme est lumière.

Et dans le pinceau du phare, aimer devient limpide.

L’homme, grain de lumière dans un temps aboli, n’est rien s’il reste isolé. Mais il est tout en formant le faisceau. Le phare troue l’obscurité, la lumière gagne sur le noir alentour et le faisceau s’augmente. Chaque grain qui se sait, chacun peut embraser l’aurore, l’aurore de toute l’humanité, du cosmos tout entier. Dès lors comment ne pas aimer ? Comment se taire, ne pas crier la joie, ne pas dire : merci, merci la Vie !

Une révolution s’enclenche vers la conscience d’être.

Chacun en est l’acteur et tout autant l’enjeu.

Je suis dans l’Immense et je suis l’Immense.

Je suis, nous sommes.

Le chemin de lumière, c’est nous.

The text of this video is available in English in PDF file.