8- Théâtre

Ne voir que la lumière partout, y compris dans les textes de notre tradition, la mettre en scène et la dire au théâtre, tel a été le pari fou relevé au cours des mois de Juin et de Juillet 2014, à Paris et au festival Off d’Avignon…

Texte de « Un FEU sur la TERRE » :

« A l’époque d’Hérode le Grand, roi de Judée,

il y a un prêtre nommé Zacharie »

Tel est le début du récit que Luc, médecin bien-aimé, adresse à Théophile, illustre contemporain…

Cher Théophile, il est bon pour toi d’entendre cette histoire, au matin de ta vie. Zacharie – le prêtre dont il est question dans le Livre – est marié à une femme du nom d’Élisabeth. Tous deux vivent comme des justes devant Dieu. Ils sont âgés et n’ont pas d’enfants. Or, un jour, un messager apparaît à Zacharie et il lui annonce qu’il va avoir un fils. Ce fils, il ne l’appellera pas comme bon lui semble mais il devra l’appeler Jean !

Zacharie n’y croit pas :

Je suis vieux, elle est vieille et en plus, elle n’a jamais pu avoir d’enfants !

Tais-toi, Zacharie ! Toi, le prêtre, tu ne crois pas ce qui est écrit dans le Livre ? Tu ne pourras plus parler jusqu’à la réalisation de ce que j’ai dit !

Six mois plus tard, Théophile, Gabriel, cet étrange messager, continue sa mission. Il se rend dans le petit village de Nazareth et là, il va voir une jeune fille du nom de Marie. Il lui annonce qu’elle va, elle aussi, enfanter. Elle aura un fils. Ce fils, elle devra l’appeler Jésus ! Or, la jeune fille est vierge et ne connaît point d’homme. Bien sûr, elle est promise, comme c’est l’usage, à un homme du village, Joseph, le charpentier. Contrairement à Zacharie, Marie adhère totalement au message de l’ange. Elle dit :

« Oui ! »

Un peu plus tard, elle part rendre visite à Élisabeth qui se trouve être sa cousine. Et là, Théophile, incroyable ! À la salutation de Marie, l’enfant dans le ventre d’Élisabeth se met à danser, virevolter, tambouriner … et aussitôt, Élisabeth, comme instruite par le bébé en elle, reconnaît en Marie la mère du Seigneur :

« Comment se fait-il que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? »

Et Marie, en guise de réponse, exulte à son tour… Elle dit que son âme exalte le Seigneur, son esprit exulte en Dieu son Sauveur, il s’est penché sur son humble servante, désormais tous les âges la diront bienheureuse, le Puissant fit pour elle des merveilles, saint est son nom, son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. Elle dit que, déployant la force de son bras, il disperse les superbes, il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles, il comble de bien les affamés, il renvoie les riches les mains vides, il…

Elle est intarissable, Marie, intarissable ! La flamme brille dans ses yeux…

Et trois mois après cette mémorable rencontre, Élisabeth met au monde un fils qu’elle appelle Jean, comme le messager l’avait demandé. Zacharie, le père, retrouve alors l’usage de la parole pour bénir le Seigneur. Et, tout fier, prenant le nouveau-né à bout de bras, il proclame :

« Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du très Haut !

Tu marcheras devant le Seigneur et tu prépareras ses chemins.»

Dès lors, cher Théophile, le cours des choses ne va pas tarder à s’accélérer… Le gouvernement décide d’effectuer un recensement de la population. Il faut pour cela se rendre à Bethléem – ville d’origine de Joseph – Joseph qui a, entre-temps, épousé Marie. Un songe lui révèle en effet qu’il vit une histoire qui le dépasse totalement…

Alors il dit : « Oui », lui aussi, laissant les rêves dicter sa conduite.

« Vos enfants ne sont pas vos enfants.

Ils sont fils et filles du désir de la Vie, en elle-même. »

Et c’est ainsi qu’à peine arrivés à Bethléem, Marie met au monde un fils qu’elle appelle Jésus. Elle met au monde son fils là où ils sont en paix, parmi les bêtes dont ils sont les familiers. Je vois, Théophile, tu penses à la crèche, à l’âne, au bœuf, peut-être… peut-être… Mais ce qui importe c’est que Gabriel, le messager, prévienne aussitôt les bergers de cette naissance car c’est alors que des voix célestes emplissent l’espace. A l’écoute, les bergers vont, voient et glorifient Dieu à leur tour !

Tu entends, Théo, le ciel et la terre se répondent !

Marie médite tous ces événements en son cœur…

Et lorsque quarante jours plus tard Joseph et Marie présentent Jésus au Temple comme le veut la coutume, un vieillard, du nom de Siméon, les voit :

« Et maintenant, Ô Maître souverain,

tu peux laisser ton serviteur sen aller en paix selon ta parole.

Car mes yeux ont vu le salut… ».

Et, prophète, il prédit à Marie qu’un glaive lui transpercera le cœur.

Pourtant, pendant douze ans, rien ne se passe ! Jésus grandit en force et en sagesse. Mais un jour, alors qu’ils montent tous les trois à Jérusalem pour la fête de la Pâque, Jésus s’échappe et disparaît ! Inquiets, ses parents l’attendent, affolés, ils le cherchent, interloqués, ils le trouvent en train d’enseigner les docteurs de la loi, les savants, les érudits de l’époque ! Il leur dit :

« Comment ? Pourquoi me cherchez-vous ?

Vous ne savez donc pas que je dois être aux choses de mon Père ? ».

Marie, elle, médite toutes ces choses en son cœur…

Un beau jour de printemps, Jean, le fils de Zacharie et d’Élisabeth devient la voix qui crie dans le désert :

« Préparez le chemin du Seigneur,

faites droits ses sentiers ! »

Et il baptise dans l’eau, à tour de bras, il asperge, il éclabousse, il baptise même celui qui baptisera dans le feu et qu’il reconnaît d’emblée Fils de Dieu ! Ce Jean gêne ! Ce Jean dérange ! On l’enferme ! On le tue !

Mais tout est en place… l’histoire est en marche… et, dès lors, rien ne l’arrêtera… Une page est tournée, Théophile, qui fera grandir les hommes… !

Baptisé, Jésus est conduit au désert par l’Esprit. Pendant 40 jours, Théophile, il y côtoie le tentateur. Mais il lui résiste et commence alors sa vie publique. Un jour de sabbat, dans la synagogue, il se lève pour lire ce qui est écrit dans le livre du prophète Isaïe et il proclame avec force deux mots :

« Libération, Illumination »

Pour ces paroles, pour ces deux mots, il est chassé, poursuivi mais, lui, passant au milieu d’eux, va son chemin… Et son chemin est un chemin de guérison, un chemin d’annonce de la Bonne Nouvelle : le Règne de Dieu, le Royaume ! Le chemin le conduit à Tibériade et là, sa première guérison est de transformer de simples pêcheurs en pêcheurs d’hommes…

Tibériade, la mer de Galilée !

Un lac, des barques de pêche et des pêcheurs, bredouilles, fatigués, épuisés par le labeur infructueux de la nuit. Jésus s’approche et dit à l’un d’eux :

« Avance vers le grand fond et jette les filets ».

Celui-ci le fait et il prend du poisson à profusion. Il prend tellement de poissons qu’il en appelle au secours la barque voisine. C’était Pierre, Jacques et Jean. Mais d’un coup, Pierre réalise ce qui vient de se passer… et, plein d’effroi, il dit à Jésus :

« Sors dauprès de moi ! Je suis un homme pécheur, Seigneur ! »

Voici la réponse de Jésus, Théophile:

« Ne crains plus, c’est moi qui mène la barque à présent.

Toi, suis-moi ! »

Ils laissent tout et ils le suivent tous les trois ! Et le chemin se poursuit… et sur ce chemin, Jésus en appelle d’autres. Ils seront douze : les douze apôtres !

Il les appelle après avoir passé une nuit entière en prière ! Jésus prie beaucoup, il se retire souvent à l’écart, il passe des nuits entières en prière, il passe des nuits entières enveloppé dans la prière de Dieu.

« Heureux les pauvres ! »

Voilà, Théophile, l’enseignement de Jésus au petit matin : heureux les pauvres !

Et dans la journée, partout où il passe, par tout ce qu’il dit, par tout ce qui émane de sa personne, il guérit.

Et celui qu’il guérit, c’est l’enfant !.

Il guérit le serviteur du centurion romain, ce serviteur considéré comme un fils. Il éveille le seul enfant de cette femme qui était veuve, la veuve de Naïn. Au fond, dans toutes ses allées-venues, lorsqu’il rencontre par exemple la femme dont la vie s’en va et de suite après la fillette de douze ans endormie, fille du chef de synagogue ou bien encore lorsqu’il réconforte ce père qui a deux fils et dont l’un des deux s’égare et brûle la chandelle par les deux bouts tandis que l’autre se bloque et se fige, tu pourrais penser, cher Théophile, que Jésus ne parle pas d’autre chose que de ce qu’on appelle aujourd’hui : développement personnel ! Mais tu serais alors gravement dans l’erreur, mon ami. Car le parfum subtil qui flotte sur le monde ne cessera pas d’être :

« Thalita koum !

Enfant, dresse-toi ! »

La tentation sera grande pourtant de faire comme si tu ne ne le remarquais pas. Mais alors, la Parole restera là, Théo, qui gémit et gratte et grince, toujours là, envoûtante, entêtante, Parole qui harcèle, qui taraude, qui-ne-lâche-pas :

« Heureux les pauvres ! »

Je suis pauvre, si j’ai faim, je suis pauvre si j’ai soif… de ce qui est !

Je suis pauvre, Théophile, si mon être fêlé et poreux laisse diffuser le parfum subtil. Et je reste insensé si je ne m’occupe que de ce que j’ai, ce que je sais ou crois savoir, ce que je veux ou ce que je peux.

Oui, Jésus est bien celui qui doit venir, celui que les prophètes ont annoncé :

«Quils sont beaux les pas du messager de Bonne Nouvelle !»

Puis Jésus demande aux douze de faire ce qu’il fait. Et ils font, Théophile, ils font ! Ils aiguisent la faim, ils attisent la soif. Et Pierre, ébloui, reconnaît que Jésus est l’homme accompli, le Messie, le Fils de Dieu, le Verbe fait chair.

C’est alors que Jésus prévient :

« Je serai incompris, moqué, bafoué, mis à mort »

Puis il devient, l’espace d’un instant, entièrement lumière.

Il est transfiguré devant eux ! Son visage brille comme le soleil et ses vêtements deviennent blancs comme l’éclair. Et dans cette lumière, Pierre, Jacques et Jean perçoivent qu’un au-delà de l’espace et du temps existe.

Ils commencent à comprendre la parole inaugurale :

« Libération, Illumination »

Et de fait, rien n’existe que la lumière, le Royaume de lumière.

Cet instant passé, Jésus – tel quel – prévient à nouveau : il sera incompris, moqué, bafoué, mis à mort. Eux sont ahuris, stupéfaits. Jésus insiste et redouble leur stupeur en disant que celui qui accueille cet enfant en son nom l’accueille, lui ! Et plus encore, Théophile, plus encore ! Non seulement il l’accueille, lui, mais il accueille aussi celui qui l’a envoyé, le Père !

Les disciples restent interdits, pétrifiés.

La clé du mystère, c’est l’enfant !

Une page blanche reste à écrire, Théo, la tienne !

Lui, il monte résolument vers ce qui doit être son destin.

Il monte à Jérusalem et prévient ceux qui veulent le suivre qu’ils n’auront pas d’endroit où reposer la tête, pas de convenances à faire, même pas le temps d’enterrer leurs pères :

« Laisse les morts, enterrer les morts.

Les morts, 

ceux qui nont pas fait naître le Verbe en eux,

eh bien, qu’ils enterrent les morts,

ceux qui, pareillement, ont étouffé l’enfant en eux ! »

Et de rajouter de ne pas prendre le temps même d’un simple ‘au revoir’, mais d’aller annoncer le Règne de Dieu ! Car celui qui a mis la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas digne de lui !

Eh bien, les ayant ainsi prévenus, lorsque Jésus en appelle 72 autres, ils viennent ! Attraction irrésistible de cet homme qui, de chacun, fait un prophète :

« Allez annoncer le Règne de Dieu ».

Ils vont et ils reviennent tout joyeux !

Leur joie met en lumière ce qui était caché et que Jésus révèle :

« Aime ton prochain comme toi-même »

pour la simple et bonne raison que toi, Théophile, moi et lui, nous sommes UN !

Et cette évidence déployée, il entre, tranquille et joyeux, dans une maison amie. Là, il se repose un temps puis en partant, sur le seuil de la porte, il dit en guise d’au-revoir à celles qui l’accueillent :

« Prends patience Marthe,

prends patience Marie,

patience dans l’azur ! »

Jésus ne se lasse pas et à la demande de ses disciples, il leur apprend à prier :

Notre Père,

Toi,

Dieu créateur qui es dans nos cœurs,

au plus intime de nous,

que nous rendions saint Ton Nom en Te faisant grandir en nous,

afin que Tu sois plus nous que nous-même

et que nous ne soyons que ce que Tu es,

Royaume !

Donne-nous aujourdhui notre pain de Vie

Toi

notre unique bien,

Toi

notre unique baume,

Ne tiens pas compte de nos fautes, de nos ombres, de notre passé.

N’entrons pas en comptabilité de torts,

soyons au-delà de cela,

là où Tu es !

Fais que je Te mette au monde,

mette au monde en moi !

Et ne permet surtout pas que je sois séparé de Toi. 

Sans Toi je ne suis rien, rien du tout

Mais avec Toi,

nous sommes TOUT,

absolument

TOUT !

Et ce même jour, où il leur apprend à prier, Jésus emmène ses disciples en promenade au bord du lac, et là, tout en marchant, il dit :

« Le Verbe est en vous depuis l’aube de la création.

C’est ainsi, mes amis,

que vous contenez le Royaume autant qu’il vous contient !

Et plus choyée par vous sera l’étincelle de Vie en vous,

plus grand sera le feu que vous propagerez,

ce feu que jappelle de mes vœux,

ce feu que moi-même je suis.

Allumez le feu !

Faites-moi resplendir !

Je suis étouffé, oppressé en vous.

Jusques à quand ?

C’est par vous, mes amis,

par vous

que viendra le Royaume. »

L’Immense est là, Théophile, au fond de toi et tu ne sais pas que tu es lui, l’Immense. Et le jour où tu prends conscience de cela, alors tu te sens libre, libre d’une liberté folle, une liberté jamais encore éprouvée.

Comme au jour où lui, l’homme-Verbe, s’est levé pour dire ces deux mots.

Ce jour-là, il a commencé à mettre le feu !

De même au jour de notre illumination, notre jour, nous augmenterons son intensité !

Alors le feu rejaillira, il renaîtra de ses cendres.

Car si le Verbe – cette braise brûlante – confie à notre souffle l’éclat de sa lueur, c’est pour que nous ravivions le feu, ce feu qui illumine tout par le dedans ! Et, quand l’un d’entre nous cède et s’ouvre et s’allume et s’enflamme, quelle joie ! Quel feu de joie ! Tout exulte et chante !

Exactement comme au temps où Marie rend visite à Élisabeth ! Comme au temps où Jean le Baptiste danse, tambourine, virevolte dans le ventre de sa mère parce qu’il reconnaît en Marie le Verbe qui va naître ! Comme au temps où Marie exulte de joie, où le ciel et la terre se répondent…

Eh bien ce temps est toujours là !

Mais ce temps – s’il est toujours là – les disciples ne l’entendent toujours pas !

Alors Jésus répète une troisième fois ce qu’il devra endurer.

Il sera incompris, moqué, bafoué, mis à mort.

Puis il rajoute quelque chose de bouleversant…

Il rajoute qu’il désire ardemment vivre avec nous cette Pâque, ce passage du Verbe en nous jusqu’à être TOUT en nous !

Son discours, bien sûr, ne peut être entendu. La raison fausse prévaut ; Jésus est mis à mort. Mis à mort, il supplie :

« Père, éloigne de moi cette coupe ! »

Mais bien vite il implore :

« Père, pardonne-leur.

Ils ne savent pas ce quils font »

Et si, dans un dernier souffle, Jésus rajoute de ne pas pleurer sur lui c’est pour pointer encore et toujours notre manque.

La vie et les propos d’un tel homme valent bien une crucifixion mais pas seulement…

Car lui, l’homme de Nazareth, cet homme si plein du Verbe qu’il en est Dieu ne reste pas au tombeau.

Il vit au-delà de l’espace et du temps : « Il est ».

Et il apparaît à deux pèlerins qui ne le reconnaissent qu’après avoir longuement marché avec lui, longuement discuté avec lui. Il se fait voir, encore et toujours. Je le reconnais à sa façon de partager le pain de Vie et de me rendre le cœur tout brûlant.

Je le sais vivant lorsqu’il me pousse à me faire interprète des Écritures.

Sa parole résonne :

« Je suis venu jeter un feu sur la terre. 

Combien je suis oppressé tant quil nest pas allumé ! »

Voilà, Théophile, c’est ainsi que l’homme de Nazareth a écrit en lettres de feu et de chair le secret de ton nom !

Il est en nous.

Il nous cède son propre chemin !